Ta démarche en quelques mots ? ( ENGLISH VERSION HERE )
C’est un travail de recherche, fondé essentiellement sur l’expérimentation de processus conduisant à la formation, à la création d’images. J’explore prioritairement le médium photographique dans ses principes fondateurs, ses possibilités, ses frontières. Je m’intéresse aussi beaucoup aux rapports qu’il entretient avec le dessin, la peinture, l'image animée.
Tes travaux s’articulent en séries : comment naît une série, comment prend-elle sa place parmi les autres ?
Chaque série résulte de l’exploration d’un processus technique, d’une idée, d’un territoire graphique. Il arrive qu’elle donne naturellement naissance à une autre, par subdivision.
Mais ce ne sont pas des cases hermétiques, je les considère plutôt comme des familles, des ensembles d’éléments aux contours perméables, aux liens souples, qui partagent certaines caractéristiques et se différencient par d’autres.
Tu travailles sur plusieurs séries en même temps ?
Oui, j’en développe souvent plusieurs en parallèle, elles se nourrissent constamment les unes des autres. Je m’intéresse à ce que dessinent en creux leurs interrelations formelles, idéelles ou émotionnelles.
Pourquoi l’emploi du latin, parfois du grec, pour désigner tes séries ?
Cela m’est venu assez naturellement, peut être une résurgence de mes études scientifiques. Le latin se prête bien au classement et à la dénomination.
Le mot latin me semble empreint d’une certaine dualité : il possède à la fois une simplicité, une efficacité lui permettant de décrire précisément un objet, une action, une sensation et puis à l’opposé l’aura poétique et irréelle d’une langue ancienne.
Il permet de faire résonner non seulement les autres significations possibles en latin mais aussi celles d'autres mots dont il est la source étymologique. Il a le potentiel d’ouvrir le champ sémantique et donc celui des interprétations.
Texo peut se traduire par « tisser » , « ourdir une toile, une trame ».
Peux tu me présenter cette série ?
J’ai créé de grands pinceaux constitués de centaines de fibres optiques dont je peux varier l’arrangement, je les alimente avec des sources lumineuses colorées que je conçois en amont. Je déplace le pinceau dans l’obscurité et enregistre la trace lumineuse grâce à l’appareil photo.
Cette série me permet de travailler les agencements de couleurs de manière inédite.
Les fibres m’autorisent véritablement à tisser les couleurs entre elles.
Voilà pour la description technique mais comment interprètes tu les résultats, qu’en retires tu ?
Mon interprétation est personnelle, intime. Chacun réagit, vit sa confrontation avec une oeuvre en fonction de son vécu, ses dispositions du moment, sa culture et l’interprète en conséquence. Chaque expérience est unique, c’est une rencontre et il me semble préférable de vivre ce premier moment sans guide.
Dans un second temps, bien sûr, un complément d’information est aussi intéressant mais je préfère que cela passe par la discussion, l’échange.
Je ne cherche pas à transmettre de message particulier. Je sélectionne parmi les résultats de recherches, ceux qui me paraissent pertinents, en fonction de paramètres conscients et inconscients. Je matérialise des « possibles » et les propose aux spectateurs, dont je fais partie.
Ce que j’en retire : le plaisir d’explorer et de me confronter à la matière -même s’il s’agit beaucoup de photons ici- et de voir de temps en temps apparaître quelque chose d’intéressant.
« De temps en temps apparaître »…cela implique que tu ne contrôles pas entièrement le processus ?
Je le contrôle en partie seulement, je le guide. Je ne travaille que sur des processus intégrant une ou plusieurs variables entropiques ou aléatoires à certaines étapes. J’ai besoin que le hasard fasse partie de l’équation car j’éprouve peu d’intérêt à réaliser quelque chose que je suis capable d’anticiper complètement, de conceptualiser. J’ai besoin d’être surpris dans une certaine mesure au moins, de découvrir quelque chose que je n’attendais pas.
Le choix de « puncta » fait-il allusion au punctum de Barthes ?
Pas spécifiquement non. Punctum a plusieurs significations en latin dont celles de « point » , de « petit trou fait par une piqûre », qui me l’ont principalement fait choisir. Les photographies « puncta » sont produites grâce une espèce de sténopé mutant, géant, n’ayant pas une mais des milliers d’ouvertures. Au lieu de m’intéresser à l’image résultante je fais le point sur ces « centres optiques », donc sur le plan qui sépare l’image de son objet, l’objet étant ici la lumière directe d’un projecteur.
Un mot sur Lichens ?
Les Lichens sont un cas un peu à part : ce sont des photogrammes ( dans le sens ici d’image extraite d’un film ) provenant à l’origine d’une étude de « film palette », tels ceux que j’utilise pour alimenter certains pinceaux lumineux ( voir texo ). Ce sont donc des images inattendues qui ont germé au sein du travail de préparation d’une autre série.
Elles se sont affranchies de leur statut de matière première.
Je les ai baptisés « Lichens » pour leur ressemblance avec certains lichens végétaux.
Finalement, qu’est ce que l’art pour toi ? / Quelle définition en donnerais tu ?
Je n’ai bien sûr pas de définition axiomatique à te proposer, l’art est pluriel, de nombreuses définitions, parfois contradictoires, sont pertinentes.
Ceci dit, c’est avant tout pour moi un espace de liberté, de pensée, de rêverie, de poésie, de propositions, de découverte, d’expérience, de rencontres… qui laisse la porte ouverte à l’ambiguïté, la contradiction, au non dit, à l’incertain…